jeudi 17 juin 2010

Louis XV fait du shopping, Ardisson se régale d’un sous-marin, les Québécois font de la résistance et Radio-Canada fait le bon usage du Grevisse.

 Nouvelle-France1750 
on l’a échappé belle, nous aurions-pu être en train de nettoyer le golfe du Mexique!

Je veux apprendre le Québécois… pas pour faire une pâle imitation de l’autochtone, mais pour ne pas avoir le sourcil relevé quand on s’adresse à moi, non pas pour le parler, ça friserait le ridicule, mais juste suivre la conversation de tous les jours.

Ne croyez pas que ça soit si facile.
Vous allez me dire : ‘’allons, tu as une blonde du cru, c’est bien sur l’oreiller qu’on trouve le meilleur professeur?’’ Pantoute, comme on dit ici, la gredine me ‘’cause’’ comme à la télé de radio-canada, c’est à dire dans un français international, ce français compris de ‘’Dunkerque jusqu’à Tamanrasset’’.
Depuis que je suis arrivé à Québec, mes oreilles résonnent des expressions pittoresques québécoises, et de l’accent de nos cousins du nord de l’Amérique. Et bien entendu, on entend partout ici que les défenseurs purs et durs de la langue française se trouvent sur côté-ci de l’océan atlantique…
Et de nous seriner la longue liste d’anglicismes qu’héberge le français de France. La réalité, pourtant, n’est peut-être pas aussi sommaire que les Québécois veulent bien en faire. Et fatalement erroné, comme vous aller le voir.

Parce que les mêmes Québécois, ne leur en déplaise, ne sont pas chiches en anglicismes.
Soyons honnête, il est vrai que le Français passe ses ’’week-end’’ à faire du ‘’shopping’’ en mangeant des ‘’sandwichs’’, qu’il met (rarement) un ‘’smoking’’, qu’il gare sa voiture au ‘parking’’ pour faire du ‘’roller’’.
Et effectivement, il est clair que le Québécois occupe sa "fin de semaine" en "magasinage" tout en grignotant des "sous-marins", qui mettent des miettes sur son "tuxedo". Il laisse sa voiture au "stationnement" lorsqu’il opte plutôt pour une balade en "patins à roues alignées"
Soit !
Mais c’est bien lui aussi que le climat du pays a rendu "tough", qui aime faire des "jokes" à ses amis, qui "cruise" les blondes qu’il trouve "cute", ne met pas de "shoe-claques" avec son costume s’il veut rester "swell", apprécie les accords "win-win", se frotte à des dossiers un peu "rough", mais ça fait partie de la "game", qui "print" les documents de travail sur lesquels il "spot" les erreurs, et "flush" ses toilettes… ‘’checkez’’ tout ça. Et si je vous faisais un inventaire du vocabulaire concernant l’automobile, nous y serions encore demain.

Donc, dans la bataille des anglicismes, je prononcerai avec la mansuétude qui me caractérise, un équitable match nul…je dirais même que nous sommes tous sous l’influence envahissante des États-Unis jusque dans le parler quotidien, et qu’il serait bon de s’en préoccuper davantage.
En fait, deux siècles d’isolement ont conduit les deux langues à évoluer dans des directions différentes, comme deux branches distinctes à partir d’un même tronc. Et il est bien évident que le fait de partager une langue commune ne signifie pas pour autant que l’on se comprend..

wallpaper-hockey-1490 le Québec sans le hockey? Impensable!!  Passe-moé la puck!    (lyrics)

Je passerai très vite sur le "moé" qui veut dire "moi", le "toé" qui veut dire "toi", c'est toujours un plaisir à entendre.
Je m'étendrai un peu, par contre, sur le vocabulaire et je dois confesser mes airs égarés et mes demandes répétées d’éclaircissements auprès de ma blonde lorsque j'entreprends de comprendre ce qui peut bien se cacher sous la phrase suivante :

"Coudonc, c’est-y plate depuis que ton baveux de vieux mononcle t’a pogné en train de taponner sur son bazou, t’arrêtes pas de chiâler. Il est plutôt temps de te gréer et de sortir ta minoune, oubedonc on va niaiser icitte à soir et ça me fait pas capoter. Si j’t’agace, c’est parce que j’te trouve fin. T’es pas comme les autres quétaines qui gossent quand y ont rien d’autre à faire que se pogner le beigne".

Bon, je suis sûr que cette phrase  n’est pas très cohérente, mais là n’est pas le propos : ce qui est sur, c’est qu’elle se compose de vrais morceaux de français du Québec, dont le sens exact ne saute pas tout de suite à l’esprit.
Grammaticalement, je me réjouis de la forme interrogative du québécois parlé, qui glisse un "tu" dans sa question, comme une manière d'accentuer l’interrogation finale.
"On s'entend-tu bien ?" ; ou bien "t'as-tu vu cette chose ?" ; ou encore "ça vous inquiète-tu ce que je viens de vous dire ?"

Plus bizarre, la manière avec laquelle les Québécois se libèrent du genre de certains mots ou font sonner les dernières lettres comme s’il s’agissait d’un féminin.
"J’ai fait(e) un bout(e) de route avec la gang avant de reprendre ma job. J’vous dis tout(e), y’a pas de secret : les ticket(e)s sont pas nécessaires pour rentrer".

 
Si les genres sont versatiles, les articles semblent être souvent volatiles, du style :
"Regarde donc la tv pendant que je vais à toilettes. La bière est dans cuisine".

Pour faire plus québécois, on pourra préférer le terme "bécosses", plus cru, à celui de toilettes…( nous aussi, nous avons des chiottes.)

Dans les tournures de phrases se mêlent parfois allègrement le singulier et le pluriel : ainsi n’est-il pas rare d’entendre des "vas-t’en chez vous", ou "j’m’en vas chez nous !"

Encore plus fort, la façon avec laquelle les tournures de l’oral se taillent à l'occasion une place dans l’écrit : "chu" pour signifier "je suis", "dins" pour dire "dans les", ce qui donne (à prononcer très vite) :

"chu né dins années 80" .

"Ça s’écrit pâs !".
On touche là à une différence fondamentale entre le français et le québécois : alors que le français se décline, bon gré mal gré, de la même manière sous sa forme orale comme sous sa forme écrite, en allant jusqu’à s’accommoder de l’argot, du verlan ou des patois divers, le québécois écrit tourne radicalement le dos au québécois oral.

Il faut dire aussi que le joual s’affranchit d’autant plus des règles qu’il mène sa petite existence autonome dans les différentes régions du Québec.
Le but n’est évidemment pas de décerner les bons et les mauvais points en décrétant le langage à adopter (je ne suis pas Thierry Ardisson, dieu m’en garde, je ne m’en remettrais pas), mais il est intéressant de relever ce que deux siècles de séparation ont donc produit. Les deux langues françaises se sont épanouies dans des directions distinctes, parfois convergentes, parfois divergentes, sans pouvoir confronter leurs évolutions respectives, comme l’on fait entre autre la Belgique et la Suisse et la France.
On mesure aujourd’hui les différences, et on sourit de cet écart des deux côtés de l’atlantique.

Histoire de la langue Québécoise - Le joual (1/3)
Histoire de la langue Québécoise - Le joual (2/3)
Histoire de la langue Québécoise - Le joual (3/3)

Mais finalement, le plus formidable, c’est bien de faire le constat que cette langue française, pratiquée par une petite poignée (70.000) de canadiens français abandonnés par louis XV à leur triste sort, a réussi à résister pendant deux siècles et demi à la pression anglophone de tout le continent nord-américain, pour non seulement garantir sa perpétuation (le Québec compte aujourd’hui 8 millions d’habitants, et des francophones sont installés dans toutes les provinces du Canada) mais également assurer son avenir en devenant la seule langue officielle de la Belle Province en 1977.

Pas étonnant, dans un tel environnement, qu'il ait été soumis à des singularités inédites et impensables en Europe. Elles restent en fait bien limitées et constituent plutôt un exploit, tant sa simple survie était loin d'être acquise lorsque les institutions du Bas-Canada (l'actuel Québec) se sont agenouillées devant la langue de la Perfide Albion dans la seconde moitié du 18ème siècle.

Le véritable tour de force du français d’Amérique du Nord, il est donc bien là, dans le fait d'exister, d'être légitime et de tenir la dragée haute aux 330 millions d'anglophones qui lui font office de voisins ! Et nous le devons aux Québécois. Ils peuvent en être fiers.

Pour terminer, on pourra peut-être m’expliquer pourquoi au Québec on prononce "Boston" comme "Gaston" et Washington" comme Gastonne"...?

(Ps : Le français est aussi dans sa reconnaissance comme l’une des deux langues officielles du Nouveau-Brunswick, mais je vous parlerai du Chiac une autre fois. )

3 commentaires:

  1. Bonjour,
    ben que chu fatiguée (il fait frette et l'galameau fait défaut)mais j'vais placoter un peu.
    c'est pas d'à cause et c'est tjrs mieux de tenter quelque chose (apprendre le québécois) que d'se pogner le cul ou de tataouiner !

    J'en peux plus là, c'est long. Par ex. je trouve pas mal d'expressions utilisées en France comme :
    Donner une taloche
    Etre ammoché
    Ca a pas de bon sens
    Ca coûte un bras
    Couler à pic
    En avoir raz le pompon
    On est pas sorti de l'auberge
    Mettre sa main au feu
    Si quelques expressions relèvent plutôt de l'argot, on peut en entendre quelques autres assez régulièrement.
    Tu as du pain sur la planche parce que je crois que pour être crédible il va aussi falloir y mettre l'accent et là, c'est pas dans la poche !

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  2. Bonjour,

    Un petit conseil pour remonter à l'intersection des deux branches : trouver quelque part les disques de Vincent Dumestre et son groupe Le poème harmonique, surtout son interprétation du Bourgeois gentilhomme où les acteurs font effectivement sonner toutes les terminaisons et liaisons. Vincent Dumestre fait de grosses recherches de prononciation du français au XVIIe afin de restituer les œuvres de cette époques dans leur jus. Pour l'anecdote, à l'époque, le roi se prononce roé, moi, moé etc., car la façon dont nous le prononçons est en réalité du patois parisiens!

    Très bon article sinon, qui laisse vivre les deux langues et qui ne tombe pas dans les préjugés.

    Pour le chiac, je vous indique une vidéo :
    http://www.onf.ca/film/eloge_du_chiac/
    La même 40 ans plus tard
    http://www.onf.ca/film/eloge_du_chiac_part_bande_annonce/

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  3. Merci pour vos informations. je vais en faire bon usage.

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